Dans une récente chronique du journal Le Droit, Patrick Duquette a employé les termes de ghetto et de bombe à retardement pour désigner un ensemble d’habitations collectives de la rue Donald, où vivent de nombreux Syriens.
Il indique que les Syriens sont insatisfaits quant à la vitesse du processus d’établissement, à l’absence de débouchés professionnels et à la formation linguistique, entre autres choses.
À titre de directeur général de l’organisation qui a aidé la plupart des réfugiés syriens à s’établir à Ottawa et en tant qu’immigrant, j’aimerais offrir un autre tableau de la situation.
Il est normal que les Syriens désirent aller de l’avant. Les défis quotidiens auxquels ils sont confrontés sont parfois accablants. Nous n’en sommes pas surpris. Nous nous y attendons. C’est ce que nous appelons le parcours d’établissement. Au cours de l’histoire d’Ottawa, tous les nouveaux arrivants en ont fait l’expérience.
En 1979 et 1980, la ville a accueilli 4 000 Asiatiques du Sud-Est (pour la plupart des Vietnamiens), mieux connus sous le nom de réfugiés de la mer. Cela représente le double du nombre de Syriens que nous avons accueilli au début de l’année 2016.
La vie était difficile. L’apprentissage de l’anglais également et certaines personnes avaient un niveau de scolarité peu élevé. Beaucoup de réfugiés ont accepté des emplois pour lesquels ils étaient surqualifiés, car ils devaient payer leur loyer et élever leurs enfants. Ils étaient toutefois déterminés à reconstruire leur vie.
Je me demande où se trouve le ghetto de Vietnamiens aujourd’hui à Ottawa. À moins d’avoir un certain âge, vous aurez du mal à vous rappeler où ces gens étaient logés au départ.
Certaines des préoccupations exprimées dans la chronique ne sont pas nouvelles. À titre d’exemple, Monsieur Duquette écrit que la rue Donald est appelée la petite Syrie, car les Syriens restent ensemble. Les Italiens ont fait de même lorsqu’ils sont arrivés dans la première moitié des années 1900, tout comme beaucoup d’autres collectivités au cours du dernier siècle.
Nous sommes nombreux à demeurer au sein d’une communauté et d’une culture auxquelles nous sommes naturellement accoutumés. Il est réconfortant de vivre avec des personnes qui partagent notre langue et notre culture. Ce n’est pas uniquement le cas des réfugiés et des immigrants. Dans presque tous les pays du monde, vous trouverez une communauté de Canadiens expatriés. Il ne s’agit pas de réfugiés et pourtant ces personnes trouvent qu’il est réconfortant de créer des liens avec d’autres Canadiens alors qu’elles s’adaptent lentement à une nouvelle culture dans un pays étranger. Le fait de demeurer au sein de votre propre communauté n’en fait pas pour autant un ghetto.
Mon objectif n’est pas de minimiser les préoccupations, les craintes et les frustrations exprimées par les Syriens à Monsieur Duquette, mais plutôt de normaliser les défis vécus liés à l’établissement.
Beaucoup de familles syriennes ont laissé derrière elles des proches. Elles éprouvent de la frustration due au fait qu’elles sont incapables de réunir les membres de leur famille. Certaines personnes souffrent du trouble de stress post-traumatique et d’autres doivent composer avec des enfants atteints de handicaps ou des proches qui ont subi des blessures de guerre. Ces personnes veulent être mieux logées, avoir un meilleur accès à des perspectives d’emploi et plus facilement accès aux services de la communauté. Cela fait un peu plus de deux ans qu’elles ont été arrachées à une culture et à un pays qui a été le leur durant toute leur vie.
Les frustrations que ressentent ces personnes ne constituent toutefois pas une bombe à retardement.
Nous leur promettons que leur vie s’améliorera, que les difficultés s’estomperont et laisseront place à des existences plus faciles à gérer et qui s’apparentent davantage à celles que vivent les Canadiens.
Certaines personnes en font déjà l’expérience. Des réfugiés syriens ont ouvert des ateliers de réparation de meubles, des services de traiteur, des restaurants, ont adhéré à des organismes de bienfaisance et bien plus encore. Rabea, un de mes collègues, travaille à temps plein et vient tout juste de terminer sa maîtrise en éducation. Noor, un autre de mes collègues, a obtenu récemment sa licence de pilote professionnel. En avril, la communauté syrienne a organisé un premier événement intitulé Syrian Canadian Donation Day. Des centaines de Syriens provenant de 10 villes du pays ont pris une journée pour donner du sang dans leurs banques de sang locales. D’autres ont enseigné les arts à des enfants et ont pris part à un groupe de personnes qui ont recueilli plus de 5 000 $ pour le Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario.
Les Syriens savent que l’avenir est prometteur pour eux-mêmes et leurs enfants. Voici ce qu’a affirmé un Syrien à Monsieur Duquette.
« Les choses se passent beaucoup mieux pour nos enfants que pour nous. Ils vont à l’école, ils apprennent la langue …ce sont de véritables éponges…».
À l’instar des enfants des réfugiés vietnamiens d’il y a quarante ans, les jeunes syriens s’épanouiront et ne se percevront même plus comme des enfants de réfugiés. Nous les considérerons comme des Canadiens ordinaires et c’est la façon dont ils se percevront eux-mêmes.
Aujourd’hui, de nombreux Syriens adultes parlent arabe couramment et maîtrisent l’anglais, de façon passable à tout à fait acceptable. Leurs enfants parlent déjà couramment l’anglais et l’arabe avec un petit accent. La langue maternelle de leurs petits-enfants sera l’anglais ou le français.
Nous ne doutons pas que Monsieur Duquette ait été sincèrement préoccupé par ce qu’il a vu et entendu sur la rue Donald. Nous croyons toutefois qu’il n’a fait qu’entrevoir de façon sélective un tableau inachevé.
Nous invitons Monsieur Duquette à se joindre à nos nombreux employés qui travaillent toutes les semaines avec les réfugiés qui vivent rue Donald. Il rencontrerait ainsi des personnes venant du Congo, du Burundi, de la Somalie et des Canadiens. Il pourrait assister aux cours d’anglais hebdomadaires que nous organisons sur place. Il pourrait se joindre à nous pour prendre part à l’une des nombreuses sorties qui permettent de présenter leur nouvelle ville aux nouveaux arrivants.
Il rencontrerait des joueurs de hockey syriens qui patinent pour les cougars de Gloucester. S’il empruntait la rue jusqu’au parc à proximité, il rencontrerait des filles et des garçons syriens qui jouent au soccer dans notre ligue des jeunes. Il n’y a pas de chaussée fissurée ici.
Il rencontrerait des Syriens et divers autres réfugiés qui sont très optimistes au sujet de l’avenir de leurs enfants malgré les défis qu’ils doivent surmonter au quotidien.
Nous croyons que pour installer et intégrer véritablement les nouveaux arrivants, le soutien de toute la communauté est nécessaire et qu’il faut mobiliser toute une communauté de citoyens ordinaires pour aider les nouveaux arrivants à faire des choses que nous considérons comme étant des activités quotidiennes.
Monsieur Duquette, vous faites partie de cette communauté. Je vous invite à venir nous revoir. Vous pourriez alors rester un peu plus longtemps et en apprendre davantage sur l’histoire de l’établissement.
Carl Nicholson est le directeur général du Centre catholique pour immigrants